Aide publique au développement : on en est où ?
La pandémie du COVID-19 a rendu d’autant plus cruciale la nécessité d’avoir une politique de développement à la hauteur des enjeux. Nous avions fait d’énormes progrès en matière de lutte contre l’extrême pauvreté depuis les années 1990 : ce n’est plus le cas. 120 millions de personnes pourraient basculer dans l’extrême pauvreté en Afrique subsaharienne rien qu’en 2020, pour la première dois depuis 30 ans. Cela représente près de deux fois la population française.

Ainsi, l’engagement présidentiel d’augmenter l’aide publique au développement (APD) française pour atteindre 0,55% du RNB avant la fin de son mandat, bienvenu en 2017, n’est plus suffisant. La crise sanitaire du COVID-19 a bouleversé les ordres de grandeur. La France doit bouleverser les siens, et ne pas oublier les pays les plus pauvres : elle doit augmenter massivement son aide au développement afin d’atteindre l’objectif historique des 0,7% du RNB alloué à l’APD en 2022.
Plus de 400 milliards d’euros ont déjà été investis dans le plan de relance français. Pourtant rien n’a été prévu d’additionnel pour soutenir les pays vulnérables à faire face à cette crise sans précédent. Dès le budget 2021, la France doit revoir à la hausse la trajectoire prévue de son aide au développement et s’assurer qu’elle sera sur la bonne voie pour atteindre les 0,7% du RNB en 2022. Cela représente une augmentation de 5 milliards d’euros sur 2 ans, soit uniquement un peu plus de 1% de l’effort financier conçu pour la relance au niveau national. C’est le devoir de la France, mais c’est aussi un investissement intelligent : aucun pays ne pourra venir à bout de cette pandémie seul, et personne ne sera en sécurité tant que nous ne le serons pas toutes et tous.

Le projet de loi de finances pour 2021, publié le 28 septembre par le gouvernement, prévoit une augmentation de la mission « aide publique au développement » de 683 millions, pour atteindre un montant de 4 milliards d’euros. Les deux taxes solidaires, affectées au développement, représentent 700 millions d’euros supplémentaire. Cette augmentation, bien que bienvenue, ne fait que confirmer la trajectoire financière prévue par le gouvernement depuis l’été 2019 afin de respecter l’engagement des 0,55%. Le projet du gouvernement exclut donc la solidarité internationale de son plan de relance, malgré l’explosion des besoins.
La taxe sur les transactions financières (TTF) : une opportunité pour augmenter l’APD en 2021
La TTF est l’une des deux « taxes affectées » au développement. Tout comme son homologue la TSBA (taxe sur les billets d’avion), la TTF vise à corriger l’ampleur des inégalités mondiales, en taxant certains « gagnants » de la mondialisation (le secteur financier) pour bénéficier à ses « perdants » (les populations des pays en développement). Les recettes de ses deux taxes permettent pourtant de financer principalement les dons vers les priorités sectorielles que sont notamment la santé, l’éducation et le climat. Avec la mission « aide publique au développement », ces deux canaux constituent le cœur de l’aide, c’est-à-dire sa partie la mieux pilotable et la plus efficace, en incluant les subventions pour les pays les plus pauvres et prioritaires de l’aide française, tout en bénéficiant aux services sociaux essentiels et aux populations les plus vulnérables.

La TTF est aussi le seul levier parlementaire pour agir sur l’aide publique au développement française au sein du budget annuel1. C’est un outil très efficace mais méconnu, dont la pleine mobilisation pourrait alimenter une aide publique au développement à la hauteur des enjeux actuels, de manière indolore pour les finances publiques. Il faut en finir avec le mythe selon lequel la TTF impacterait notre compétitivité : 6 pays européens ont déjà mis en place une TTF au niveau national2, sans démonstration d’un quelconque impact sur la compétitivité, trois autres sont en train d’élaborer une législation3, et de nombreux centres financiers mondiaux possèdent une TTF et sont en plein essor, notamment Hong Kong, Singapour, l’Afrique du Sud, la Suisse et le Royaume-Uni4. Par ailleurs, la TTF n’impacte pas l’économie réelle, et ne freine ni la consommation des ménages ni les investissements. Or, en 2020, pendant que le reste de l’économie s’effondrait, les transactions financières ont bénéficié de la situation économique actuelle et du confinement lié au COVID-19 en raison de « la hausse des volumes échangés sur les marchés au cours du premier semestre » comme le mentionne le PLF 2021. Le rendement de la TTF a ainsi presque doublé entre janvier et août 20205. Renforcer la taxe sur les transactions financières française est donc devenue une question de justice et d’égalité : elles font partie des seules transactions qui ne sont aujourd’hui pas taxées (la TTF française ne couvre pas toutes les transactions, notamment les intra-journalières et les dérivés) et le secteur financier a bénéficié des conséquences de la pandémie, il doit participer à la reconstruction des pays vulnérables du monde. Les parlementaires devraient augmenter les revenus de la TTF française et augmenter les fonds qui sont alloués au développement.
Que peuvent faire les parlementaires au sein du PLF 2021 ?

Les parlementaires disposent de 3 leviers pour augmenter l’aide au développement grâce à la TTF :
- Augmenter le taux de la TTF de 0,3% à 0,5%, : cela augmenterait les recettes de la TTF de 1,6 milliards actuellement à 2,6 milliards d’euros.
- Augmenter le plafond d’affectation au développement, actuellement fixé à 528 millions d’euros (32% environ des revenus de la TTF). Les parlementaires peuvent ainsi décider d’affecter 50% des recettes de la TTF au FSD, ce qui nécessité une augmentation du plafond d’affectation afin de garantir que les revenus supplémentaires générés soient fléchés vers la solidarité internationale.
- Taxer les transactions intra-journalières, c’est-à-dire toutes les opérations spéculatives d’achat et de vente d’un titre enregistrées durant la journée, et non pas seulement le résultat des transactions en fin de journée. Les transactions financières sont l’un des seuls flux qui bénéficient d’une taxation quotidienne au lieu d’une taxation par transaction. Taxer les transactions intra-journalières augmenterait les revenus de la TTF de 2 à 4 milliards d’euros supplémentaires, dont 50% pourraient être alloués à la lutte contre l’extrême pauvreté dans les pays les plus pauvres.
Sources:
1 L’article 40 de la constitution française les empêche en effet de déposer un amendement qui ait pour conséquence « soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».
2 Belgique, Finlande, France, Irlande, Italie et Pologne.
3 Hongrie, Portugal et Espagne.
4 Leonard E. Burman, William G. Gale, Sarah Gault, Bryan Kim, Jim Nunns, and Steve Rosenthal, mars 2016, « Financial Transaction Taxes in Theory and Practice », National Tax Journal, 69 (1), 171–216, https://www.robinhoodtax.org.uk/sites/default/files/Burman%20et%20al_%20NTJ%20Mar%202016%20%282%29.pdf
5 Les Echos, « La taxe sur les transactions financières va rapporter plus que prévu à l’Etat », 16 septembre 2020, https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/la-taxe-sur-les-transactions-financieres-va-rapporter-plus-que- prevu-a-letat-1242790#xtor=CS1-3046